lundi 26 janvier 2015

Et la nourriture : en parler ou pas ?

Il y aurait plusieurs bonnes raisons de passer directement au sujet suivant. La première, je ne cuisine pas. Ensuite, n'importe quel blog d'expatrié aura expliqué que les graines de soja fermentées — ci-dessous désignées sous l'appellation de nattō —, c'est très mauvais et que les Kit Kat au thé vert — ci-dessous désignés sous l'appellation de Kit Kat au matcha — c'est délicieux. Je confirme que les Kit Kat au matcha sont exquis et qu’il n’y a pas à débattre. Si débat il y a eu, je l'ai laissé dans ma famille et je les excuse parce qu'ils sont loin. Sinon la vie est suffisamment compliquée, considérons comme avéré que ces derniers sont délicieux.


De plus, viens où l'amour franco-nippon à l'izakaya


Le cas du nattō, par contre, mérite plus de nuance. Baveux, filant et dégageant une odeur caustique de décomposition, le nattō est vivant : il s'apprivoise. Les sentiments de l’occidental envers le soja fermenté sont comparables à ceux des Japonais pour le roquefort : un dégoût assumé. Par contre, les Japonais adorent le camembert. Peut-être parce que ce nom désigne à peu près n'importe quel produit vaguement laitier, vaguement salé — même si sa texture est plus proche de celle du bloc de plastique que du fromage. A l'inverse, quand nous n'avons qu'un mot pour désigner les algues comestibles, le japonais en a une dizaine, chacun marquant une spécificité ou un usage particulier.
Kappabashi-dōri

Pour entretenir sa passion, le Nippon a a sa disposition une foule de programmes dédiés et de séquences d'émissions du style "Martine mange des pâtes à Shinjuku [remplacer Martine par le nom d'une pseudo-célébrité]", Le Gourmet Solitaire, manga adapté en série télévisée et la rue Kappabashi où alternent les magasins de vaisselle traditionnelle, d'accessoires permettant de faire cuire un œuf dont le jaune sera en forme de cœur et de plats en plastique hyperréalistes utilisés dans les devantures des restaurants pour attirer le chaland. Ici, on ne plaisante pas avec la nourriture.

Personnellement, quand on me questionne sur la gastronomie française, je suis embêtée. C'est quoi exactement la gastronomie française ? La première chose qui me vient à l'esprit, c'est un plat de viande et de pommes de terre. Puis, probablement parce que je déteste ça : la blanquette.

Mon palais est psychorigide : j'aime tout, à la condition de pouvoir dissocier les saveurs. D'où cette manie, à l'âge des BN, de manger le nappage puis le biscuit et cette aversion persistante pour les sauces en général et la blanquette en particulier.
L'orange à 432 yens (3 euros 30), la barquette de fraises à 4500 (34 euros 35).

A la question — idiote — de  savoir quel aliment je pourrais me contenter de manger pour le reste de ma vie, je choisis le riz. La gastronomie nipponne est donc parfaite à mon goût, surtout depuis que j'ai arrêté de m’interroger sur la provenance des aliments. Mathieu qui a fait une thèse sur les mouvements anti-nucléaires en Asie et qui continue à étudier le sujet me dit que c'est une loterie. Alors que l'organisme d'un individu supportera d'être exposé à une certaine dose pendant des années, un autre soumis une seule fois à cette même dose développera un cancer, parfois des années plus tard et sans qu'il soit possible de l'imputer à cette exposition. Une bonne nouvelle malgré tout : les poissons les plus proches ne sont pas toujours les moins chers. Pas beaucoup de certitudes mais de gros doutes. Continuer à manger des onigiri bon marché comme je m'obstine à le faire n'est peut-être pas le choix le plus pertinent pour ma santé.

Par chance, depuis mon arrivée, j'ai développé une  foules d'obsessions pour, dans l'ordre : les soba, le nattō, le yakiimo, le daikon, l'oden et... les pommes. Parce que certaines sont vendues un peu plus de 10 euros l'unité, j'ai réussi à me convaincre que ces dernières sont meilleures qu'ailleurs, parce que si c'est dans du papier brillant, c'est forcément exceptionnel.

Ensuite, le premier kaitenzushi venu proposera des nigiri aux alevins, au violet, au dos de flétan ou aux intestins de thon, vendus à 130 yens la paire (soit moins d'un euro). S'ils sont parfois surprenants, les goûts sont facilement reconnaissables. Les textures, elles, évoluent sur une gamme allant du caoutchouteux au gluant, en passant par le plus classique mais toujours efficace mou. La quintessence de l'expérience caoutchouteuse-molle est probablement l'oden, le pot-au-feu saveur poisson surmonté d'une île flottante que l'on achète au konbini.

Et plus rustique que la pomme et dernière merveille de l'hiver, les yakiimo, de longues patates douces cuites au four qui, quand on les oublie, fondent au fond du sac en une bouillie brunasse et collante, ont tenu leur rang de découverte extraordinaire jusqu’à ce que mon amie Christelle m'avoue que ses parents mangent la même chose dans la ville où je suis née. Délicieux à défaut d'être vraiment exotique, je vis maintenant avec le fantasme d'un dessert qui allierait patate douce et violette. Ayant récemment diné dans un étoilé français proposant une association roquefort-kaki, l'idée me paraît presque trop raisonnable.

Même si les repas restent source de faux-pas liés à l'usage des baguettes, au passage des plats et à mille autres codes entrés par une oreille et ressortis par l'autre, je persiste à penser que la gastronomie est l'une des principaux atouts du pays — gardons en tête que je suis généralement insensible à la beauté d'une architecture ou d'un paysage.
 

Plus on me pose la question et plus ça devient clair : c'est ma principale raison de rester. Discutable ? Considérant la proximité de Fukushima et le flou entourant les conséquences de la catastrophe, probablement.

Police de la coquille, merci de me contacter en cas de besoin !








mercredi 14 janvier 2015

La femme au Japon, appelle-moi make-inu.


En vivant au Japon, il est difficile de ne pas s'intéresser à l'image de la femme tant celle-ci s'avère par moments exotique.

Problème : il est possible que j'appartienne à ces féministes de pacotille qui pleines de leur bonne foi n'en sont pas moins embourbées dans de vieux raisonnements machistes. A la manière des sujets pseudo-féministes-vraiment-aliénants de la presse féminine, il m'arrive de trahir la cause que je voudrais défendre. Ce biais confessé, j'ai quand même des choses à raconter. 

Tout pourrait partir de la langue, officiellement la meilleure et la pire des choses depuis 26 siècles. Le japonais est délicieux : il invite à situer ses interlocuteurs entre supérieurs, égaux et inférieurs et à adapter son discours en fonction. Époux et maître sont un même mot tandis qu'épouse se construit sur le kanji qui signifie intérieur. 

... Entre deux onomatopées sur JAPOW!

Si je me fie à ce que me propose la langue pour me définir, je suis une make-inu. Selon JAPOW!, le terme, inspiré de l'anglais underdog, désigne la femme de plus de 30 ans célibataire et sans enfant. C'est donc moi, c'est peut-être aussi une poignée d'entre vous. Et parce que make-inu est synonyme de loser, nos mignonnes catherinettes peuvent aller se recoiffer. 

Dans le même esprit progressiste, un salaryman m'a un jour présenté l'image suivante : au Japon, une femme divorcée, c'est comme un préservatif usagé. Pas encore mariée ? Déjà divorcée ? En dehors du mariage, point de salut pour la femme nubile. 

Je force le trait, évidemment, mais pas tant que ça. Moderne mais vieux jeu, le Japon n'a rien d'un moteur en matière d'évolution des mœurs (exception faite pour l'union avec un personnage de fiction qui, elle, semble sur le point de devenir acceptable). Il est donc probable que le quasi-inconnu dont j'ai refusé la demande en mariage faisait en fait sa B.A : il me sortait de l'embarras administratif et, en me fécondant, m'offrait un statut d’individu à part entière. 

Au cœur de l'industrie du divertissement nippon, les stéréotypes se perpétuent dans un cycle sans fin. La femme se consomme juvénile mais dotée d'une forte poitrine. Mon ami Francesc, toujours là pour tempérer mes fulgurances, considère qu'il s'agit du fantasme universel de la gent masculine (l'hypothèse — que je garde volontairement dans le registre des hypothèses — me déçoit). Reste que pour tenter de correspondre aux stricts canons en vigueur, beaucoup de ces dames apportent une attention incroyable à leur apparence et il n'est pas rare de les voir minauder, assortissant leurs mouvements délicats d'une voix plus aigüe que celle d'une enfant de douze ans.

J'ai entendu plusieurs gaijin unis à des nippones évoquer le fait qu'une fois mariées, ces dernières se transforment en dragons régnant sans partage sur le foyer. Comme il y a peu de chances que j'épouse moi-même une Japonaise, je ne sais pas quoi faire de ces affirmations. Si ce n'est que tenir les cordons de la bourse (puisque c'est de ça dont il s'agit), ça pourrait être la conception du féminisme selon feu ma grand-mère. Moderne, donc. 

Au pays du soleil levant, les féministes battent rarement le pavé — quoiqu'ici pas grand-monde ne batte le pavé. Indicateur d'une fiabilité relative, Wikipédia propose 17 noms contre 110 en France. De cette liste, je ne connais que Yoko Ono... dont j'ignorais jusque-là l'engagement pour la cause. L'avenir est probablement du côté de l'anonyme, notamment du côté de la jeune femme à l'origine de la pétition ayant conduit à interdire l'accès au territoire à Julien Blanc, expert en séduction auto-proclamé et agresseur sexuel avéré. 

La légende veut que la Japonaise soit très pragmatique dans ses choix matrimoniaux, en témoigne une interview assez perturbante de l'économiste Takuro Morinaga parue en 2012 sur le site de Courrier International. Sa théorie veut qu'en taxant les hommes ayant l'impudence d'être à la fois séduisants et riches, on permettrait à l'ensemble de la population masculine d'accéder de façon égalitaire au mariage. La nipponne aurait alors à faire des calculs un peu plus complexes pour déterminer le meilleur parti entre celui qui lui ferait un bel enfant et celui qui pourrait l'envoyer dans une bonne université.

La situation serait tragique si, à défaut d'être mises en œuvre, ces propositions ne prêtaient pas à rire... jaune. D'ailleurs, si ici le féminisme reste relativement abstrait,  les Japonaises que je fréquente ne sont pas bien différentes des Françaises de mon entourage. Ni dragons, ni victimes, ni monstres de pragmatisme. Peut-être parce que même dans un pays faisant de la standardisation une vertu, les stéréotypes sont difficilement solubles dans la vraie vie.

Police de la coquille, merci de me contacter en cas de besoin !













mardi 6 janvier 2015

L'enfer, c'est les soldes.

Revenue de France le 1er janvier, j'ai raté la traditionnelle première visite au temple (hatsumoude) mais pas le premier jour des soldes (le lendemain). 

Vendeuse du 109 (Shibuya)
Mais parce que j'ai beaucoup d'affaires et peu de revenus, les soldes, ça ne me touche pas vraiment. Et puis les friperies japonaises tiennent du paradis — Comprenez : il n'y flotte pas cette odeur de mort caractéristique des magasins français du même type. Donc les soldes, je n'avais pas de raison d'en parler.

C'était avant d'avoir expérimenté la chose à Shibuya, lorsque sur l'escalator me menant au troisième étage du PARCO PART3, l'un des nombreux centres commerciaux du quartier, j'ai entendu des cris de mouettes.

Vendeuse du 109 (Shibuya)
Les mouettes juchées sur des escabeaux, mégaphones de fortune à la main s'exercent à un concours de cris aigus supposés attirer la chalande. Je ne suis pas en mesure d'essayer de comprendre ce qu'elles disent. Mon cœur bat trop vite, je suis stressée. Apnée de rigueur. Après des recherches qui me paraissent sans fin, je finis par mettre la main sur les bouchons d'oreilles supposés me servir en cas de concert. Les battements de mon cœur se ralentissent, je peux enfin regarder ce qui se passe autour de moi.

109 (Shibuya)
Dans l'escalier reliant les deux étages, une file de jeunes femmes attend probablement depuis plusieurs heures de pénétrer dans un magasin. De mon œil inexpert, je ne vois pas ce qui distingue la boutique de celles qui l'entourent mais des scènes similaires se produisent au 109, l'antre des jeunes filles romantiques et autres kogaru, où je me rends le lendemain.

109 (Shibuya)
L'achat compulsif est poussé à son paroxysme avec le fukubukuro, ces pochettes surprises dans lesquelles est dispersé le stock des invendus. Le concept permet au client de faire de bonnes affaires, dans la mesure où ce dernier est prêt à acheter n'importe quoi. Ce qui est souvent le cas. Certains font la queue pendant plusieurs heures dans le froid, notamment devant les boutiques Apple comme cette personne citée sur le site de rocketnews24 qui a fait la queue 42h sous la neige et postait le message suivant sur Twitter :

Bonne Année ! J'ai accueilli la nouvelle année devant l'Apple Store de Sapporo. Ce 1er janvier à 5h05, la température est de -4,5ºC [23.9ºF], mais il y a déjà 11 personnes qui font la queue.

Ces sacs de la chance sont une institution nationale qui se décline jusque chez Starbucks et chez les magasins vendant des glaces. Il s'avère néanmoins souvent possible de jeter un œil à l'intérieur du sac (si le contenu n'est pas détaillé sur un petit présentoir). Internet se fait un devoir de révéler le contenu des derniers.

Alors oui, le Japonais a tendance à surconsommer. Il n'est pas le seul mais ici plus qu'ailleurs, il faut trouver des échappatoires à une vie souvent un peu trop bien cadrée. Work hard, play hard comme disent les gens que je ne suis pas. A Tokyo, on travaille dur et parce que jouer dur, ça pique, on achète, beaucoup. Et souvent n'importe quoi. Tant que le produit est convoité par les autres. C'est ainsi que certains quadragénaires achètent des jeux à collectionner destinés aux enfants, tels que ceux de la franchise Yōkai Watch au motif presque assumé que ces jouets, victimes de leur popularité, ont été plusieurs mois en rupture de stock. Créer des besoins à défaut de parvenir à en combler d'autres plus élémentaires... Vous ai-je montré mon porte-clefs chat-sushi ?

Police de la coquille, merci de me contacter en cas de besoin !