jeudi 4 septembre 2014

... Et j'ai offert des friandises de Fukushima à mes hôtes.

La journée est à marquer d'une pierre blanche : je suis invitée à déjeuner chez des Japonais.

Je ne sais toujours pas comment c'est arrivé tant on me l'a répété : les Japonais ne reçoivent pas chez eux. Ils se retrouvent dans les izakaya où ils boivent jusqu'à potron-minet mais, sorti du cercle familial, jamais ils ne s'invitent les uns chez les autres.

J'ai bien essayé d'avoir des explications. A côté du « Chez nous c'est petit... » à quoi il m'a fallu répondre que « prends les dimensions d'un studio parisien, compte le nombre de personnes que l'on y fait contenir quand on organise une soirée et reviens me parler de tes problème d'espace ».

Non, la meilleure réponse que j'ai réussi à obtenir c'est : « Oui, mais on ne veut pas embêter les voisins ». Là, j'ai réalisé que le Français est un malotru lavant sa conscience d'un Post-it qui dit en substance : 

« Cher loser qui n'a rien de prévu un samedi soir, dans les heures à venir nous allons faire du bruit et ça risque de t'empêcher de regarder la télé. Mais comme tu es prévenu, épargne-toi de venir te plaindre. Tu peux à la rigueur ramener une bouteille et faire semblant de profiter de la soirée. »

Je suis donc invitée chez la sœur de Kōji. Kōji est un jeune cuisinier à qui j'apprends le français parce qu'il souhaite poursuivre sa formation dans l'hexagone il est particulièrement intéressé par les liens qui peuvent être tissés entre l'industrie du parfum et l'utilisation des aromates. C'est aussi un garçon qui se mettra en quatre pour vous faire plaisir et dont la sœur a, paraît-il, très envie de me rencontrer. Nous allons donc déjeuner chez Saori où il a prévu de cuisiner pour elle et moi. Setagaya est à une demi-heure de bus de Shibuya et j'habite à une demi-heure de métro de Shibuya. Faites le calcul : je suis une aventurière du quotidien.

Ayant vu sur mon fil d'actualité Facebook que le Ricard était l'accessoire tendance de l'été japonais, j'ai en tête de leur en apporter une bouteille. Mais pas de chance, le chic marseillais n'a visiblement pas séduit le magasin dans lequel je me trouve où le choix se résume à du Ballantine's et à quelques bouteilles de vin dont une de Bon Marché (sic). Ce nom m'inspire autant que La Villageoise et j'ai épuisé mon quota aventure pour la journée, j'opte donc pour un dessert japonais traditionnel.

J'hésite un moment entre une boîte décorée —  et remplie de petites poules et un assortiment plus sobre de bouchées fourrées à l'anko (la pâte de haricot rouge) à la belle couleur lie de vin. Les secondes ont l'air délicieuses et je suis adulte : merde aux cocottes mignonnes.


Satisfaite de mon achat, j'arrive avec un quart d'heure de retard à Shibuya alors que Tsutomu, le mari de mon hôte est venu nous chercher en voiture. Si je déteste être en retard, je sens qu'il n'est pas nécessaire d'expliquer que c'est à cause d'un conflit entre des poules et mes velléités de faire des choix d'adulte — parce que la maturité ça aurait été d'arriver à l'heure.

Dans la voiture, au dessus du GPS, il y a une mini-TV qui diffuse une émission de divertissement. Je suis intriguée : notre chauffeur arrive-t-il à conduire en regardant l'écran ?
« — Parfois.
— Ah. »

Arrivée chez les Kuboyama, je suis soulagée de constater que le l'endroit est vivant : la table n'est pas tout à fait mise, quelques jouets jonchent le sol de la petite salle à manger et Saori ne m'attend pas engoncée dans un kimono inconfortable.

« Fais comme chez toi ! » me lance Kōji avant de rejoindre sa sœur en cuisine.

A vrai dire, je m'attendais à plus de cérémonie, de courbettes et de malaise. Je me retrouve dans le petit salon à jouer avec Tsutomu, Jin, leur fils, et Gombo, la chienne, deux ans à eux deux.

Moment de remise en question : Tsutomu crie quelque chose et Gombo court chercher une balle qu'elle lui rapporte. Je ne souhaite à personne de passer à côté d'un message que même le chiot a compris.

Je découvre que le smartphone factice de Jin dispose d'une application magie noire. Ça se confirme :  les Japonais savent vraiment s'amuser.

Prendre une photo ? Appeler maman ? Pourquoi ne pas invoquer Satan plutôt ?

Kuboyama-san reparti au travail, encouragé par le itterashai ! de sa femme, nous nous installons à table. Comme Kōji s'absente régulièrement pour préparer une farandole de plats délicats, je discute avec sa sœur qui me pose de nombreuses questions. Je me plie poliment à l'exercice. Elle est un peu surprise lorsque souhaitant savoir ce que ma mère me préparait pour le goûter, je lui réponds rien. J'ajoute que par contre ma grand-mère, elle, me faisait des crêpes et du pain perdu. L'honneur de la France est sauf. Eux, ils mangeaient du nikujaga, un mijoté de porc et de pommes de terre, qui s'avère être un classique de la cuisine familiale japonaise.

Je suis un peu plus embêtée quand elle me demande si je veux des enfants. Ne parlant pas français, il y a peu de chance qu'elle ait lu l'article de Rue 89 intitulé Être mère et le regretter : « Je me suis fait un enfant dans le dos » qui, la veille, a illuminé et perturbé ma journée. Il est d'autant plus compliqué d'évoquer mes angoisses alors qu'elle-même y fait peut-être face au quotidien. Je résume donc en disant que je ne suis pas sûre d'en être capable.

Arrive l'heure du thé, Saori me redit combien elle aime les manjū. Je réalise que ce que j'avais pris pour une tentative maladroite de glisser un mot de français désigne en fait les friandises que j'ai apportées. Nous les goûtons et, bien que sobre, je m'entends, lyrique, disserter sur l'accord parfait entre le vert du thé... vert et le rouge sombre de l'anko qui, sur sa coupelle bleue, est encore plus beau. Je regrette un instant de ne pas avoir Instagram pour immortaliser la scène embellie d'un filtre photo fanée. Mes hôtes saluent mon choix ; je suis heureuse et j'en prendrais bien un deuxième.

Examinant l'emballage,  Kōji s'exclame soudain : Fukushima !

Oh. Merde. Fukushima.

Jusqu'ici, tout se passait bien : Saori m'avait complimentée sur ma robe, ils avaient ri à ma lecture de Inai, inai, ba (Coucou, qui est là ?) le livre que Kōji m'avait mis entre les mains, nous avions parlé de Seitōshi Seiya (Les Chevaliers du Zodiaque) et de Maple Town Monogatari (Les Petits Malins)....

... Et j'ai ramené des manjū de Fukushima.

Embêtée et inquiète, je tente un :  « — Et euh... Ça va ?

 — Oui, oui, notre grand-mère habite à Fukushima !
 — Ah...»

Ils ne semblent pas plus émus que ça. Moi, je me dis que finalement, un seul petit gâteau, c'est peut-être mieux pour ma ligne.

J'ai quand même besoin de comprendre : Mais... euh... votre grand-mère, elle va bien ? Vous allez la voir ? 

Oui, oui, elle va bien. Avec la sobriété de son anglais balbutiant, Saori se contente de me dire que le problème avec Fukushima, c'est que ça va durer longtemps. Là-dessus se referme la parenthèse catastrophe nucléaire.

Lorsque je repars, Saori m'offre un assortiment de biscuits GOUTER de ROI. Très touchée, je me retiens de lui dire tout le mal que je pense des responsables du marketing de la marque qui, sans foi ni loi, parviennent à vendre des micro-biscottes au sucre et au beurre comme le symbole du raffinement français.



En chemin, je repense à homme qui m'avait expliqué habiter à Fukushima mais pas dans la zone contaminée. Fukushima, ça veut dire île joyeuse. Je me dis que dans un univers parallèle, des friandises venues de l'île joyeuse, ça aurait été le cadeau parfait. Mais dans un univers parallèle, il y a aussi un roi qui mange des biscottes au sucre et au beurre et Satan attend mon coup de fil.

Police de la coquille, merci de me contacter en cas de besoin !

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